La biomécanique du combat réel.
Stage intensif de l’été, du 10 août au 16 août 2018, à Colmar.
« Dans un combat, l’homme éclairé ne bouge que lorsqu’il choisit le mouvement
nécessaire, et seulement lorsqu’il le décide. Il n’est pas tendu, il est prêt, il n’est
jamais mou, mais flexible. »
Bruce Lee
Pourquoi ? C’est la question à laquelle nous initièrent Dmitri et Evgueni durant
cet intensif de l’été. Pourquoi effectuer la vis ? Pourquoi la compléter d’un
mouvement de piston du corps ? Pourquoi le pas d’escrime ou l’étoile lors des
séances d’acrobaties hautes et basses ? Pourquoi ?
Nos deux instructeurs colmariens menèrent une équipe d’une quinzaine de
stagiaires, accompagnés de notre ami Khosrow. Toute la subtilité de ce stage résidait
dans un tour d’horizon des principes biomécaniques et physiques de base appliqués
au combat réel. Système articulé complexe dont les muscles sont le moteur interne, le
corps humain nécessite une compréhension fine et consciente de son organisation
pour une utilisation optimale de ses capacités appliquées au combat réel.
Ainsi les instructeurs insistèrent sur l’importance de maîtriser consciemment
les acrobaties. Pour cela, c’est avec pédagogie qu’ils répétèrent continuellement aux
stagiaires de réaliser l’intégralité des exercices lentement. La lenteur est une clé de la
compréhension et de l’exécution du geste dans un esprit d’efficacité maximale. La
lenteur permet l’observation de son propre corps et du corps des autres, la lenteur
favorise l’adaptation consciente à la multiplicité des situations induites par le combat.
Pourquoi le pas d’escrime ? Son étude approfondie et détaillée sous la houlette
de Dmitri a permis de mettre en lumière l’importance du travail de la structure et des
déplacements. Le déplacement sur les deux premiers tiers des pieds est un gage d’une
plus grande mobilité. Qu’un talon rive la structure au sol et c’est la seconde
nécessaire à la réaction qu’il manquera face à un bâton ou un couteau. Il en va de
même pour l’exercice dit des « bonbons » ou apprendre à vriller sa structure en
utilisant les principes conjugués de la vague et des vis tout en ressentant son centre de
gravité. De tels mouvements, exécuté avec précisions et lenteur, permettent une plus
grande efficacité face à ce même bâton qui fend l’air pour s’abattre sur notre crâne.
Après prise de contact avec cette arme rigide, c’est cette vis qui va guider notre
déplacement, c’est elle aussi qui nous permettra d’accélérer ou dévier l’arme, c’est
cette vis qui permettra de mettre à l’abri de la casse les petits os de nos articulations.
L’accent fut porté aussi sur les acrobaties basses. Bien que les situations de
combat principalement étudiées furent debout, l’investissement lors du travail de
l’étoile, de la bicyclette ou des culbutes trouva rapidement son application en combat.
L’étoile est ainsi un moyen efficace et sécurisé de réagir face à un étranglement tout
en conservant sa structure et en mobilisant la chaîne musculaire la plus grande
possible, comme nous le démontra Evgueni.
La question de la structure fut aussi abordée au cours de ce stage. Prendre
conscience de sa propre structure à tout moment, seul ou en situation de combat. Les
instructeurs insistèrent chacun à leur manière sur ce thème. Dmitri mit l’accent sur le
pas d’escrime appliqué au combat réel : outre l’alignement du corps, il insista sur la
nécessité de garder les coudes collés au buste en guise de protection et sur
l’importance de ne jamais croiser sa ligne sagittale lors des parades de frappes, sous
peine de mettre en danger sa structure et sa liberté de mouvements. Evgueni insista
quant à lui sur l’importance de casser la distance avec l’adversaire en plaçant son
corps de telle sorte que plus aucun assaut ne puisse naître : proche du corps de
l’adversaire, en contact permanent avec ce dernier, Evgueni a su indiquer tout l’enjeu
de la maîtrise d’un exercice comme « les mains collées » et ses variantes avec objets.
Face aux yeux parfois médusés des stagiaires lors des démonstrations, Evgueni
rappela que l’important résidait dans la prise en considération et l’application des
principes, plus que dans l’apprentissage systématique de techniques prédéfinies mais
inutilisables dans un contexte de combat réel. Pour réussir cette application, Evgueni
attira notre attention sur l’obligation de créer le point d’appui et d’appliquer tous les
principes biomécaniques et physiques travaillés préalablement. Comme il nous le
répéta : « D’abord les principes, ensuite, fantaisie ! ».
Les instructeurs n’omirent pas de travailler la dimension psychologique
nécessaire à l’appréhension du combat réel. Evgueni introduisit le travail les yeux
bandés. Ce travail s’effectua d’abord sur l’exercice des « mains collées ». Il nous était
demandé de garder la même décontraction sans accélérer, afin d’imprimer des gestes
justes. Autant en salle cet exercice peut rester relativement confortable, autant il pose
aux stagiaires un certain nombre de difficultés comme l’appréciation d’un terrain
accidenté (ici, un champ à l’orée d’un bois). Ajoutons à cela différentes variantes,
comme la présence d’une arme ou le fait que les deux partenaires évoluent les yeux
bandés. Dmitri nous proposa un exercice proche de la nature et très original pour
travailler l’esquive douce et le placement : bombardé de bûches de bois sur une
période très courte, le stagiaire devait esquiver chacune d’elles et gérer son effort en
parallèle. Cela permit aux stagiaires de mesurer le travail cardio-respiratoire qui reste
à accomplir tout en prenant conscience des erreurs de placements et déplacements qui
peuvent s’avérer fatales en combat réel. Ainsi les mouvements de vrilles trouvèrentils
toute leur signification afin de prendre contact avec les bûches sans risquer de
casser la tête du radius ou de se luxer un doigt.
Enfin, les moments de réflexion collective furent nombreux entre stagiaires. À
plusieurs reprises la question du réalisme dans le combat est revenue. Peut-on se
targuer de réalisme quand on travaille lentement ? Le travail rapide est-il
obligatoirement réaliste ? Comment arriver progressivement à un travail rapide mais
sécurisé dans le cadre d’une pratique « entre amis » ? Evgueni comme Dmitri
insistèrent sur le fait que le réalisme s’obtient par la réflexion approfondie des
pratiquants et par le travail lent, pour glisser progressivement vers des mises en
situation plus stressantes. Un travail rapide prématuré peut mettre en échec le
pratiquant qui adoptera des réponses de peurs inconscientes avec le risque de répéter
celles-ci quand enfin il devra utiliser « son systema ». Evgueni est longuement revenu
sur l’importance de l’intention, notamment celle du partenaire qui joue le rôle
d’agresseur. Il convient ainsi, pour un travail réaliste, que le partenaire-agresseur soit
franc dans ses attaques, avec ou sans armes, qu’il adopte une attitude menaçante qui
implique une réponse d’auto-défense adaptée. Certains pratiquants avancés initièrent
quelques stagiaires au travail plus rapide, ce qui permit à chacun de prendre du recul
pour corriger des défauts qui ne laisseraient aucune chance lors d’une agression au
couteau par exemple.
Une chose est certaine, c’est qu’une agression ne ressemblera jamais
parfaitement à une situation étudiée lors des stages, des cours ou des entraînements
personnels. Plus qu’un répertoire de techniques devant lesquelles s’extasier en les
exécutant, c’est la compréhension générale des principes du Systema Kadochnikov
qui conduit à l’adoption de la riposte la plus efficace lors d’un événement inattendu.